Pourquoi raconter une histoire, doit on raconter une histoire

Ce que je vous propose...

 

Objectif du module :

  • Transmettre une émotion
  • Partager une réflexion
  • Raconter une histoire
  • Ecrire avec la lumière

Introduction

Si l’on cherche la définition de raconter une histoire ou si on se souvient de ce que l’on a appris à l’école, pour raconter une histoire, il faut que l’on réponde à un certain nombre de questions.

Notamment : qui, quoi, où, comment, et éventuellement pourquoi…

Ce n’est pas passionnant… et ça nous avance peu, je l’avoue, surtout en photo où toutes ces interrogations doivent absolument rentrer dans une ou seulement quelques images.

L’essentiel à retenir, ce sont ces quelques questions et qui amèneront ces quelques réponses que l’on va devoir explorer ensemble, pas à pas.

Le but ultime ne sera pas forcément que le spectateur capte l’histoire que vous racontez, mais davantage de capter son attention et de susciter la curiosité grâce aux éléments narratifs que nous allons étudier.

Pour que la lecture analytique se déclenche, il faut que quelque chose dans l’image nous intrigue ou retienne notre attention. Ce petit plus dans une photo peut être la beauté, l’harmonie, une bizarrerie quelconque, une tension, un contraste ou une absence de tout cela.

Body, Philippe; Body, Nathalie . LA GRAMMAIRE DE L’IMAGE 

Une histoire... mais que raconter ?

Plusieurs options s’offrent à nous, nous n’allons pas toutes les étudier mais en évoquer certaines ensemble.

On informe

Typiquement, on est ici dans le cas du photojournalisme, nous n’allons pas le voir dans ce cours car il s’agit de rester le plus neutre possible, ne surtout pas prendre position. Même si certaines photos de cette catégorie sont esthétiquement bien construites et peuvent faire l’objet d’exposition. Elles sortent de mon sujet d’étude.

Une histoire impactante

C’est précisément ce type d’histoire qui sera l’objet de mon exposé. On se permettra au travers de nos images de garder une part de mystère, on accentuera le contraste et mettra en exergue les conflits.

On s’attachera à mettre en valeur l’action, le changement à condition qu’ils servent notre notre histoire.

Pour ce faire, nous disposons de différents éléments narratifs que je vais vous présenter.

Composantes et éléments narratifs d’une histoire

Nous allons passer ici en revue les principaux éléments narratifs dont nous disposons pour raconter notre histoire.

Nous allons ainsi « apprendre » à écrire avec la lumière et transmettre des émotions, des idées, une pensée ou réflexion.

Nécessité d'avoir un personnage

 

Les personnages ne sont pas forcement humains, on parlera plutôt de « sujet » en photo.
En effet, pour notre histoire, nous pouvons tout à fait imaginer que le personnage soit une pierre ou une fleur ; c’est le sujet principal de cette dernière et le héros de celle-ci.

Sans personnage, il est difficile d’avoir par exemple un conflit ou une action. 

Avant que ça devienne un automatisme, on doit se poser un certain nombre de questions.

Conflits, contraste et juxtaposition

Le conflit

Ceci nous donne un contexte et nous aide à donner du sens à notre histoire. Sert notamment à définir une problématique. 

En effet, dans les livres ou les films : le conflit est le moteur de l’histoire. Les histoires composant les films ou livres ont bien souvent comme point de départ des conflits (les histoires de guerres en sont le parfait exemple). Les histoires d’amour, qui à priori ne sont pas construites sur ce principe le sont pourtant, car l’amour n’est jamais évident, une épine empêche ce bel amour qui nous paraît, à nous lecteurs, si évident).  Bref un peu de piment…

Dans la photo, c’est beaucoup moins facile à exploiter mais bien utilisé, cela peut être redoutable pour notre histoire.

Nous pouvons recenser 3 types de conflits :

  • Le conflit homme – homme

  • Le conflit homme – nature

  • Le conflit intérieur

Le conflit n’est pas forcément une action

En effet, nous le voyons notamment pour le conflit intérieur, même si celui-ci peut-être très violent, on ne peut pas parler d’actions au sens strict du terme.

La mise en opposition de l’anneau en premier plan avec la silhouette d’une personne assise sur la berge en second plan illustre un conflit. On imagine ce que peut ressentir cette personne, le manque lié au départ d’un bateau (anneau vide).

Le contraste et la juxtaposition

Un peu plus nuancé, mais très utilisé également le contraste s’obtient en mettant en opposition 2 sujets ou 2 choses relativement opposées de par leurs natures, leurs fonctions, ou simplement leurs caractéristiques visuelles si celles-ci servent notre histoire. Cette opposition doit servir à mettre en avant un des deux éléments, et par conséquent notre histoire.

En effet, le conflit ne se traduit pas forcément par une action, il s’agit avant tout de deux idées mises en opposition. 

Pour résumé : Si on peut mettre le mot « ou » entre 2 idées ou 2 mots, il s’agit alors d’un conflit que l’on peut exploiter pour raconter une histoire.

Comme par exemple :
On s’arrangera pour placer sur la même image une grande personne avec une petite, un mince et un gros. On fera la mise au point sur une petite pierre avec en arrière plan un immense rocher.


Ces oppositions doivent servir notre histoire.

Quels sont les contrastes à notre disposition :

  • Entre les tons clairs et les tons foncés

  • Entre les couleurs froides et chaudes

  • de formes : entre par exemple grand et petit

  • de temps : entre le moderne et l’ancien

  • conceptuel : entre le sérieux et le ridicule

Contraste de couleurs


Nous avons ici un très fort contraste de couleurs qui met bien en valeur notre sujet au milieu de la photo en train elle-même, de prendre une photo.

Contraste de couleurs (froides et chaudes)

Les couleurs froides du fond de scène mettent en valeur le musicien éclairé par des lumières chaudes.

Contraste temporel
Ici le passé, bien qu’ayant les pieds dans l’eau, semble bien ancré, tandis que l’avenir en arrière-plan de la photo, est dans la brume et donc, semble incertain.

L'action et les changements

Les actions et les changements sont là pour capter notre attention. L’action, dans les films et les histoires écrites, sont souvent le ou les points d’orgue de l’histoire, des tournants de celle-ci.

Sans ces changements, les histoires n’auraient aucun intérêt. Cependant, en photo, la problématique est légèrement différente. Henry Cartier Bresson a pour la première fois utilisé le terme d’instants décisifs dans son ouvrage « Image à la sauvette ».

Si l’action est moins évidente à illustrer en photo que dans les films, elle a le pouvoir de montrer ce que l’œil est incapable de voir justement en figeant le mouvement au moment précis où l’action est à son comble.

On montre ainsi le mouvement, car le cerveau reconstituera naturellement la fin du mouvement.

L’important alors, n’est pas ce que montre l’action dans le cadre, mais comment elle le montre et ce que cela signifie.

L’impact émotionnel d’une photo, dépend des indices visuels les plus infimes.

Se choisir un thème ou garder le mystère

Choisir un thème

En tant que photographe amateur souhaitant raconter une histoire, nous pouvons nous choisir un thème ou avoir envie de raconter telle histoire ou parler de tel sujet. Ce choix, bien que personnel, sera certainement source d’interprétation (contrairement au film ou roman) car notre histoire sera basée sur une ou quelques images et nous avons exclu de notre étude le photo reportage.

On apportera le plus d’éléments au spectateur pour lui raconter notre histoire, l’embarquer avec nous dans notre univers.
… mais on peut faire tout autrement…

Garder le mystère

Comme notre histoire se base sur seulement une ou quelques images, nous pouvons au contraire cultiver cette partie mystérieuse et laisser le spectateur construire sa propre histoire. 

Comme le cerveau humain n’aime pas le déséquilibre et les blancs, laisser les spectateurs remplir ces trous.

Comment les mettre en valeur ?

Pour accentuer ces contrastes, notamment ceux liés à la forme, on peut s’appuyer sur les caractéristiques des objectifs et principalement sur leurs défauts : je pense bien évidemment aux grands angles qui ont tendance à déformer exagérément les objets et sujets se trouvant à proximité immédiate.

La tension qu’engendre ces contrastes est un excellent moyen car elle exige une solution et donc génère une histoire dans l’esprit de nos spectateurs. L’esprit humain déteste le déséquilibre.

La composition

On peut jouer sur la composition :

  • un angle de vue particulier.

  • une profondeur de champs maîtrisée

  • en plaçant les éléments dans le cadre de façon raisonnée, soit pour trouver un équilibre, 

  • ou au contraire en sortant volontairement une grande partie du sujet pour créer ce déséquilibre qui forcera le spectateur à compléter intellectuellement ce manque et lui apporter la solution à notre histoire.

  • en disposant par un placement judicieux les éléments pour guider le regard vers notre sujet.

  • l’utilisation d’un objectif particulier pour mettre en valeur notre sujet (grand angle de près pour donner de l’importance par exemple…)

Intégrer le narrateur

Rendre la photo plus immersive

On l’oublie souvent, pourtant il fait partie de l’histoire tout comme le cadre. C’est celui qui raconte l’histoire, on le considère donc extérieur à celle-ci.

  • On voit ce qu’il veut bien nous montrer.

  • On le voit de la manière dont il veut nous le montrer

Il peut prendre la photo de manière immersive : photographe en tant que narrateur : Le spectateur ne voit la scène qu’à travers l’objectif.

Il faut alors prendre en considération et inclure le spectateur dans la vision que le narrateur va dévoiler au spectateur.

Par exemple si un personnage regarde le photographe, le spectateur qui regarde la photo se trouve immergé dans l’histoire.

Un portrait de rue au téléobjectif sera souvent moins puissant qu’un portrait au grand angle pour cette raison : le spectateur fait partie de l’histoire.

Astuce :
1- Me faire entrer dans la photo : Regardez moi
Si on se sent d’avantage impliqué ou inclus, on aura plus de sentiments, les sensations seront amplifiées.

En Pratique - Voyons ensemble quelques astuces

Nous allons dans cette partie faire un tour d’horizon des éléments à notre disposition et voir comment nous pouvons les exploiter au mieux.

Avant que ça devienne un automatisme, nous verrons les questions à se poser et les réponses que l’on peut apporter…

Les personnages

  • Le contexte :

Quels sont les principaux personnages ?

Comment peut-on les mettre en évidence ?

Quels rôles jouent-ils ?

Quelles sont les relations entre ces personnages…

Comment composer ma photo pour les disposer au mieux, pour servir mon histoire ?

De ces différentes questions, je dois constamment garder en tête lors de ma composition photographique : est-ce que cet élément ou ce personnage apporte quelque chose à mon histoire. Si oui, comment puis-je le mettre en avant ?

Pour répondre à la deuxième question, de quoi dispose-t-on ?

  • On peut jouer sur l’angle, la profondeur de champ, le placement de celui ou ceux-ci, mais aussi qu’est-ce qu’il a de si particulier qui peut attirer l’attention et comment le mettre en évidence.
  • rôle des personnages : Ce dernier est-il clairement établi, ou puis-je le mettre mieux en évidence, en changeant le cadre ou en attendant un meilleur moment ?
  • Montrer les relations entre les personnages :  encore une fois par le cadre, la mise au point et le flou, le placement sur des points forts…
Utiliser le cadrage, angle de vue, grand angle…
Les relations sont à l’origine de notre histoire ou sont la source même du conflit :
Si les émotions servent notre histoire, on va tout faire pour les accentuer, par le cadrage, une mise au point précise, un contraste particulier qui mettra en lumière cette émotion.
 

Cette photo prise à la fin d’un concert à Hyères a été cadrée sur les mains de la chanteuse et de son pianiste. Elle raconte beaucoup en une seule image : 

  • L’émotion avant tout ressentie lors du concert, et lorsque le public témoigne sa reconnaissance par leurs applaudissements.
  • La complicité des deux personnes.

Cette photo garde cependant une part de mystère, si je ne vous révèle pas que c’est un concert, chacun peut se faire sa propre histoire.

La seule certitude est que l’émotion est belle et forte.

Cette image est également forte en émotion, le noir et blanc a été choisi ici pour accentuer le côté dramatique de l’histoire de ce SDF. J’ai attendu le bon moment pour prendre cette photo. Peu de temps après avoir pris cette photo, je suis allé discuter longuement avec lui.

Cependant, le noir et blanc ne signifie pas systématiquement une photo dramatique. Il est vrai qu’on l’associe souvent  à ce côté dramatique avec des contrastes élevés ou à l’amour pour peut-être le côté intemporel du noir et blanc. Cependant, c’est également un outil fort utile pour nettoyer une image quand les autres éléments ne sont pas possibles.

  • On ne peut pas enlever des détails de notre image par le cadrage.
  • Trop d’informations de couleurs sont présentes dans notre image et perturbent le sens de lecture de celle-ci.
  • On souhaite que la personne qui visionne notre image se concentre sur le sujet sans ambiguïté.

On peut alors avoir recours au noir et blanc qui éliminera par définition toutes couleurs de notre image et par conséquent, informera  le spectateur que le message se trouve ailleurs.

A vous de jouer...

La photographie est l’unique discipline artistique capable de produire une oeuvre en 1/250e de seconde. 
On pourrait penser dès lors que le sujet n’est  pas si important que cela, que seuls l’intuition et le  ressenti sont essentiels. Mais ce n’est pas vrai :  l’instinct nous pousse à rester dans notre zone de  confort. La créativité consiste justement à ne pas  reproduire constamment les mêmes choses, mais à  innover et trouver de nouvelles idées. Comprendre  et reconnaitre votre sujet vous permettra dans tous  les cas de mieux composer. 
Body, Philippe; Body, Nathalie . LA GRAMMAIRE DE L’IMAGE – Les secrets de la composition: Volume 1 (p. 110). Édition du Kindle. 

En résumé

Une histoire se résume souvent en un conflit :

  • intérieur
  • homme – homme
  • homme – nature

Comment le mettre en avant

Par la composition :

  • matériel objectif : notamment avec le grand angle qui va déformer et mettre exagérément les éléments du premier plan.
  • Équilibre ou déséquilibre visuel : en plaçant les éléments de manière harmonieuse sur notre image ou en excluant volontairement le sujet ou une partie du sujet pour créer le manque.
  • Par opposition et contraste : de formes, de températures de couleurs, temporelles.
  • Épurage de l’image : pour ne faire apparaître que le sujet.
  • Intégration du narrateur dans l’image : prendre la photo comme si c’était le spectateur qui voyait la scène.
  • Si les couleurs sont trop présentes et perturbent la lecture de l’image, on peut avoir recours au noir et blanc.